Musawah !

Mars 2016

« Les femmes et les hommes doivent avoir les mêmes droits en matière de mariage ou de divorce ; elles et ils peuvent détenir des biens, profiter du fruit de leur travail ou de leurs revenus ; elles et ils exercent leurs responsabilités et jouissent des mêmes droits à l’égard de leurs enfants. » Telle pourrait être, sommairement résumée, la déclaration d’un principe élémentaire qui est un des fondements du féminisme : l’égalité au niveau personnel, sur laquelle repose la structure de la société tout entière. Ces revendications sont aussi celles d’un réseau international de femmes, fondé en Malaisie, qui travaille pour l’égalité – Musawah, en arabe – au sein de la famille musulmane 1.

L’idée qu’il existe un conflit – une opposition, une incompatibilité – entre les droits des femmes et l’islam, et que ce conflit ne peut être résolu que par la violence – verbale, physique, voire armée –, est ancrée dans l’esprit de l’immense majorité d’entre nous. Les événements récents au Proche-Orient et les attentats de 2015 ont envahi l’espace médiatique en France et n’ont fait que conforter nos préjugés. Dans un tel contexte, la question du droit des femmes musulmanes – dans les sociétés occidentales, dans les pays où l’islam est la religion dominante ou dans le texte même du Coran – fait ici l’objet d’interprétations intéressées et d’instrumentalisations en tout genre 2 : des « experts » (masculins, le plus souvent), auxquels journalistes et politiques emboîtent le pas 3, nous expliquent doctement ce que les femmes musulmanes peuvent ou ne peuvent pas faire, et surtout ce qu’elles devraient faire. Or, partout dans le monde – seul un cinquième des populations musulmanes vivent dans les pays arabes 4 –, les premières concernées n’ont pas attendu ces bons conseils pour apporter leurs réponses.

Certaines de ces femmes, comme celles de Musawah ou de Sisters in Islam 5, estiment qu’il faut faire évoluer les choses à l’intérieur même de leur communauté 6 ; d’autres, dont le travail est internationalement reconnu – Amina Wadud 7, Ziba Mir-Hosseini 8 ou la regrettée Fatima Mernissi 9, par exemple –, analysent la tradition historique et montrent la diversité des lectures possibles 10, se réclamant parfois d’un « féminisme islamique » ; d’autres ont une approche plus ouvertement critique à l’égard de la religion, telles celles du réseau Femmes sous lois musulmanes (WLUML en anglais) qui offre information et soutien aux femmes dont l’existence est régie par des lois et coutumes censément dérivées de l’islam 11 ; d’autres surtout agissent sur le terrain, au jour le jour, loin des caméras ou du Web. Peu importent à ce stade notre point de vue personnel, nos convictions, nos croyances (religieuses ou laïques) ; ne devrions-nous pas réaliser d’abord que nous avons tendance à plaquer des poncifs sur des questions dont nous ignorons à peu près tout ?

Non, répétons-le, les femmes musulmanes ne sont pas d’éternelles mineures auxquelles nous Occidentales et Occidentaux devrions dicter comportement et idées. Écoutons la voix de ces femmes en essayant de répondre aux demandes qu’elles peuvent formuler. Un véritable respect mutuel suppose, à la fois, de ne pas renoncer à ses propres convictions mais aussi de ne pas enfermer l’autre dans une image figée et immuable 12. Seul un dialogue entre égales peut rapprocher les points de vue s’il existe des désaccords, aux antipodes de cette arrogance qui affleure encore si souvent dans les rapports que l’Occident entretient avec le reste du monde.

(Liens valides au 29 février 2016.)

  1. Voir cette page et l’ensemble de leur site Web.
  2. Comme les récents échanges souvent tendus autour de la notion de « laïcité » l’illustrent clairement ; Jean-Louis Bianco a ainsi pu s’élever contre « ceux qui dénaturent la laïcité » ; voir aussi, parmi de nombreux exemples, cette tribune collective.
  3. Issus notamment, mais pas seulement, des secteurs les plus conservateurs et patriarcaux de la société.
  4. Les plus grands pays musulmans, quantitativement parlant, se trouvent en Asie (Indonésie, Inde, Pakistan, Bangladesh…) ; voir cet article de Wikipédia pour des données chiffrées.
  5. Ce groupe de femmes, fondé en Malaisie, est à l’origine du collectif Musawah.
  6. Une bonne présentation de cette approche est offerte par cet article.
  7. Parmi les ouvrages de cette chercheuse, on mentionnera Qur’an and Woman: Re-Reading the Sacred Text from a Woman’s Perspective.
  8. Voir notamment ce riche et accessible entretien au titre évocateur : Understanding Islamic Feminism.
  9. Elle a notamment contribué à mettre en évidence le caractère apocryphe ou « importé » de certaines valeurs ou doctrines, qui ne figurent pas selon elle dans le texte même du Coran ; voir par exemple cet article et cet hommage en français, ainsi que ce texte en espagnol.
  10. Comment ne pas mentionner ici le travail trop méconnu en Occident du grand penseur syrien Jawdat Said, puisant dans le Coran même son enseignement sur la non-violence et refusant de cautionner les « allégances aveugles au passé » ; ses réflexions (traduites en anglais) sur les « conditions pour la violence dans l’islam » peuvent constituer une première approche de son travail (certains textes sur le site Web qui lui est consacré sont accessibles en français).
  11. Leur site Web est très régulièrement mis à jour ; de nombreuses ressources y sont disponibles en français.
  12. Le texte pionnier et incontournable de Chandra T. Mohanty, «Under Western Eyes», qui avait fait scandale en 1986 en pointant l’attitude paternaliste du féminisme occidental à l’égard des femmes du Sud, est toujours largement d’actualité. Il a fait l’objet d’une nouvelle publication en 2003, accompagnée d’une réflexion actuelle sur ces questions, dans le volume Feminism Without Borders de la même auteure (p. 17-42 pour l’article original et, sous le titre «’Under Western Eyes’ Revisited: Feminist Solidarity through Anticapitalist Struggles», p. 221-251).