Un autre regard

Septembre 2014

La « grande majorité de ceux qui subissent les effets préjudiciables des conflits armés, y compris les réfugiés et les déplacés, sont des civils, en particulier des femmes et des enfants (…) ». Battant en brèche les idées reçues, cette information figure dans la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité des Nations unies1.

Depuis quelques décennies, les sociétés commencent à prendre conscience du rôle dévolu aux femmes dans des circonstances où l’accent est habituellement porté sur les combattants, considérés comme les uniques acteurs des conflits armés. Il suffit ainsi de se rendre au Musée historique de Sarajevo – pour prendre un exemple proche de nous dans l’espace et le temps – pour constater que les femmes, qui formaient la majorité de la population et qui ont grandement contribué à la survie de la ville assiégée dans les années 1990, sont absentes des récits et de la mémoire officielle2

Conformément aux stéréotypes, c’est lorsqu’elles sont victimes que le sort des femmes éveille l’intérêt. Parfois, la compassion est réelle, comme on l’observe avec l’attention croissante à l’égard des violences sexuelles et des viols utilisés comme armes de guerre (Bosnie, Rwanda, R. D. du Congo…), qui ne sont plus tout à fait perçus comme « normaux » dans le cadre de conflits armés3. Dans d’autres cas, cependant, on peut se demander si le sort des femmes n’est pas un prétexte commode pour justifier des opérations militaires : en Afghanistan, leur statut ne fait aujourd’hui qu’empirer dans l’indifférence de l’Occident qui prétendait les « sauver »4

Dans la résolution 1325, le Conseil de sécurité demandait notamment qu’augmente la participation des femmes « à la prise des décisions concernant le règlement des conflits et les processus de paix ». En une quinzaine d’années, les avancées en cette matière ont été modestes et inégales : en 2013, seuls trois accords de paix sur dix appuyés par l’ONU comprennent des dispositions relatives à la participation des femmes5. Mais les effets d’une certaine évolution sont parfois indéniables, comme au Liberia avec Ellen Johnson Sirleaf et Leymah Gbowee6.

On ne saurait évoquer les femmes comme actrices des conflits sans mentionner leur présence croissante dans les forces armées ; on ne peut occulter alors les graves problèmes que rencontrent les soldates au sein même de l’institution. Viols et harcèlement sont le lot de nombreuses militaires aux États-Unis, comme le soulignait Femmes en résistance l’hiver dernier7, mais c’est aussi le cas par exemple en Espagne, et dans bien d’autres pays – une enquête récemment publiée sur les violences sexuelles dans l’armée française8 a rencontré un large écho auprès des médias9. S’agit-il, comme on le dit souvent, de simples « dérapages »10 ou ne serait-ce pas la manifestation d’un phénomène plus profond, la prégnance de valeurs (hiérarchie, légitimation de l’affrontement…) inhérentes au fait militaire ?

C’est pour explorer les liens existant entre la condition des femmes et la gestion des conflits par la violence que naît cette rubrique. Nous y présenterons des initiatives, menées un peu partout dans le monde dans une démarche féministe, visant non seulement à mettre un terme à la domination du masculin, mais aussi à proposer des valeurs alternatives sur lesquelles fonder les sociétés.

(Liens valides au 20 août 2014.)

  1. Texte complet en français : http://www.un.org/womenwatch/ods/S-RES-1325%282000%29-F.pdf
  2. Voir notamment Carol Mann, Memory or institutional amnesia in Sarajevo? The forgotten place of women in war (en anglais).
  3. La conférence qui s’est déroulée à Londres en juin dernier a fait l’objet de nombreuses présentations dans les médias ; voir par exemple les articles publiés par Le Monde (accès complet protégé) et RFI.
  4. Voir notamment, de C. Mann, Exit Petraeus, adieu to women’s rights in Afghanistan et Why is violence against women on the rise in post-conflict Afghanistan? (tous deux en anglais).
  5. http://www.un.org/News/fr-press/docs/2013/CS11149.doc.htm.
  6. Voir l’entretien avec cette dernière dans Femmes en résistance, n° 7, été 2014.
  7. Alexandra Geneste et François Pesant, « L’autre combat des militaires américaines », Femmes en résistance, n° 5, hiver 2013.
  8. Leila Miñano et Julia Pascual, La guerre invisible : Révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française, Les Arènes.
  9. Voir par exemple http://www.lepoint.fr/societe/armee-enquete-sur-les-violences-sexuelles-faites-aux-femmes-28-02-2014-1796450_23.php.
  10. Le mot figure dans cet article de Libération.